Il est troublant de voir dans le comportement humain d’aujourd’hui les contradictions entre ce que les gens disent et ce qu’ils font. Loin de moi l’idée de dénier, au passé, cette propension humaine à la dissociation multiple de notre identité propre, mais cette dernière atteint de nos jours un paroxysme on ne peut plus frappant, qu’un observateur ne pourrait constater ledit phénomène sans éprouver une sensation de vertige. En témoigne les élans d’empathie qu’un occidental peut ressentir pour les indigents du Tiers-monde sans qu’il ne lui vienne le souci des pauvres de son pays, ou bien encore les valeurs humanistes et écologistes que l’on peut porter à la faveur d’une bien-pensance émotive coupée de la raison sans pour autant que l’on s’engage réellement dans des actions convergentes. Comme si les valeurs antiques, de la vertu, de la sagesse, de la communauté étaient devenues, sous le coup d’une désuétude funeste, de poussiéreuses antiquités mises en vitrine pour la seule question de sauvegarder des apparences qui ne sauraient cacher l’hypocrisie, la nudité intellectuelle de l’individu, ou encore sa compromission. Je constate d’autre part, que cette déliquescence des principes tient à quelques raisons qui m’apparaissent évidentes : la mort des préjugés selon la définition de William Burke dont l’effet serait d’avoir mis à nu l’incontinence des égos individuels drapés dans quelque élan humaniste, libérateur des oripeaux de la foi et de l’arbitraire royal certes, mais dont on constate qu’il a certainement profité davantage à l’intérêt bourgeois qu’au « populo minuto ». Il y a ensuite d’autres raisons que l’on pourrait invoquer sur la question de l’aliénation sociale en tant qu’il faut bien accepter quotidiennement de faire entorse à nos principes si l’on ne veut pas être mis au ban d’une société qui entretient son peuple dans une dépendance économique on ne peut plus servile. En témoigne le paupérisme lié au développement industriel des modes de production ou encore le phénomène de salariarisation des masses – fossoyeur d’un certain populisme agrarien défenseur d’une économie de petits propriétaires, considérée comme la condition de l’indépendance politique du peuple dont le socle consistait dans les liens de solidarité communautaire tels que les confréries de métier ou la famille – répondant à la logique d’une dépendance contractuelle de l’individu à un système dont les moyens uniques de subsistance – soit l’argent – ne sont pourvus qu’à la condition d’y souscrire : Goodwyn, « l’idée qu’une démocratie locale est réalisable sans qu’entrent en jeu des systèmes de production économique de grande échelle est étrangère aux présomptions « progressistes » que partagent, et qui unissent, dans une fraternité religieuse les capitalistes et les communistes ». Ainsi notre comportement oscillant entre pragmatisme égoïste et principes édentés ne serait il pas dû à ce que nous avons vendu nos valeurs morales contre un confort progressiste tout relatif, cédé notre indépendance en s’aliénant de la possibilité d’envisager un jour de disposer de moyens de productions individuels au bénéfice d’une économie réelle locale et fraternelle contre l’expédiant court-termiste et esclavagiste que représente le salariat ? Le libéralisme n’est pas le libéralisme financier soutenu par le modèle industriel. Le vrai libéralisme est celui qui donne à chacun une indépendance de fait et non de forme sous les traits de quelque esprit d’égalitarisme législatif qui nous éloigne des vrais sujets que sont le paupérisme, soit la pauvreté de masse, et la déconnexion totale du monde de la finance d’avec l’économie réelle. En ce sens, il devient évident que pour retrouver une certaine cohérence et des principes humains positifs dans notre société, il faille reconnaître les maux qui la gouvernent et remettre en question radicalement les fondements de cette dernière.

 

Christopher Lasch, Le Seul Vrai Paradis, Flammarion, Paris, 2006.

Willial Sewell, Work and Revolution in France: The Language of Labor from the Old Regime to 1848 (Cambridge University Press, 1980).

J. Bezucha, The Lyon Uprising of 1834: Social and Political Conflict in the Early July Monarchy, Cambridge, 1974.

Lawrence Goodwyn, The Populist Moment, Oxford University Press, 1978.

Thomas Paine, Agrarian Justice (Justice agraire), défense d’un revenu minimum et une forme de communisme agraire, 1797.

William Cobbett, Cottage Economy, 1821.

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